Prévenir les risques de lésions oculaires chez les marins professionnels
Selon une étude réalisée par l’IMP en 2022 pour le compte de l’Enim, les accidents du travail aux yeux dans le secteur maritime professionnel sont certes peu fréquents mais peuvent avoir une gravité importante pouvant même aller jusqu’à l’inaptitude définitive. Ce dossier a pour objectif principal de fournir des éléments chiffrés précis de l’accidentologie professionnelle maritime touchant les yeux et également de proposer des solutions de prévention.
SOMMAIRE
Chiffres clés des accidents du travail ayant entraîné une lésion oculaire chez les marins professionnels
Les sources de données utilisées par l’IMP pour établir cet état des lieux quantitatif proviennent de l’Enim et couvrent la période 2016-2020.
Caractéristiques des ATM aux yeux
Sur la période étudiée, 252 accidents du travail maritime (ATM) ayant pour siège de lésion les yeux ont été recensés. 117 d’entre eux ont entraîné un arrêt de travail, ce qui a engendré 6 885 jours perdus et le versement, par l’Enim, d’indemnités à hauteur de 291 361 €.
La durée moyenne des arrêts de travail pour ce type d’accident est de 59 jours et le coût moyen d’un ATM aux yeux est de 2 490 €.
Le nombre d’accidents (avec et sans arrêt) est plus important pour le secteur du commerce maritime où ils représentent la moitié des événements enregistrés (contre 37 % à la pêche et 12 % pour les cultures marines). Cette représentation s’inverse si on prend uniquement les ATM avec arrêt (50 % à la pêche contre 43% au commerce maritime).
Malgré cela, près de 65 % des jours d'arrêt de travail (contre 26 % à la pêche) et plus de 70 % des indemnités payés par l'ENIM (contre 19 % à la pêche) concernent le secteur du commerce.
En ce qui concerne les cultures marines, le très petit échantillon (9 ATM avec arrêt) est fortement perturbé par un ATM qui a généré 621 jours d’arrêt pour un coût de prise en charge ENIM de plus de 24 000 €.
Le coût moyen des arrêts suite à un ATM est très largement supérieur au commerce (facteur 4,3 pour le commerce par rapport à la pêche).
La classification statistique des accidents proposée par l’ENIM permet également de préciser la blessure. Pour les accidents aux yeux sur cette même période :
plus de 40 % des accidents sont des lésions traumatiques de l’oeil, et plus de 30 % sont des corps étrangers dans la partie externe de l’oeil,
par rapport à la durée moyenne des arrêts pour les accidents aux yeux (59 jours/accident), les lésions traumatiques de l'œil génèrent en moyenne beaucoup plus de jours d’arrêt (99 jours) et coûtent pratiquement 2 fois plus cher à l’ENIM.
Une deuxième source de données utilisée dans le cadre de l’étude sur les lésions oculaires, est le QCATM. Il permet une analyse quantitative sur la période 2016-2020 (5 ans) est effectuée pour les secteurs pêche, commerce maritime et cultures marines.
Analyse des circonstances des accidents aux yeux à la pêche
Les statistiques montrent que les ATM aux yeux se déroulent à bord du navire, lorsque celui-ci est en pêche ou à quai. Ils se produisent principalement sur les chalutiers de 16 à 25 m de pêche au large et de pêche côtière.
Ils concernent majoritairement 4 phases de travail :
la préparation/réparation de l’engin de pêche avec 2 genres d’accident : coupé, piqué par et frappé, entraîné par une chaîne, câble, élingue,
le travail/manutention des captures (coupé, piqué par poisson, crustacé),
la maintenance pont machine où l’élément matériel est le produit chimique,
le virage de l’engin de pêche avec 2 genres d’accident : frappé, entraîné par et coupé, piqué par l’engin de pêche.
Les graphiques ci-dessous détaillent les circonstances des ATM aux yeux à la pêche comparativement à l'ensemble des ATM du secteur de la pêche.
Répartition par position du navire
La répartition des ATM par position du navire est légèrement différente à celle de la pêche en général.
Il y a une sur-accidentologie à quai (+3%) et une sous-accidentologie en pêche (-4%). Si on zoome sur ses catégories, ce sont les phases de travail réalisées à quai notamment réparation et maintenance qui génèrent les ATM aux yeux.
Répartition par métier pratiqué
Le métier du chalut/senne danoise est de loin, comme pour la pêche en général, le métier pratiqué où il y a le plus d’ATM aux yeux. On peut noter cependant une variation notable (+8% par rapport à la pêche en général). On se blesse donc plus aux yeux sur les chalutiers/senneurs qu'à la pêche en général. A contrario, les métiers du casier sont proportionnellement moins accidentogènes pour les ATM aux yeux (-5%).
Répartition par genre de navigation
Contrairement à la pêche en général, le genre de navigation “pêche au large” est largement surreprésenté (+10%) ce qui est cohérent avec le chapitre précédent (un zoom sur la PL montre que 67% des ATM concernent les métiers du chalut et de la senne danoise).
A contrario, la “petite pêche” est nettement moins représentée (-10%).
Répartition par occupation du blessé au moment de l’accident
Les ATM aux yeux à la pêche se produisent
lors de la préparation/réparation de l’engin de pêche,
lors du travail, manutention des captures,
lors de la maintenance et
lors du virage de l’engin de pêche.
Cette représentation est sensiblement différente par rapport à la pêche en général. Les phases de réparation de l’engin de pêche et de maintenance sont largement sur-représentées en ce qui concerne les ATM aux yeux.
Répartition par élément matériel impliqué
La répartition des ATM par élément matériel impliqué fait ressortir 3 catégories :
“engin de pêche” pour 17% (comme pour le secteur des pêches maritimes),
“chaîne, câble, élingue, aussière, cordage” pour 13% (nettement supérieur à la pêche en général +5%) et
“poissons, crustacés, coquillages" pour 13% (+6%).
Analyse des circonstances des accidents aux yeux dans le commerce maritime
Les ATM aux yeux concernent très majoritairement les personnels d'exécution. Ils se concentrent sur une activité principale qui est la maintenance pont et machine. L’élément matériel impliqué est principalement les produits chimiques et dans une moindre mesure les machines fixes ou portatives.
Les accidents sont majoritairement dûs à des projections de corps étrangers dans l'œil lors des opérations de maintenance (ou coups d’arc). L’utilisation de produits chimiques génèrent également un nombre d’accidents relativement importants.
Les graphiques ci-dessous détaillent les circonstances des ATM aux yeux au commerce maritime comparativement à l'ensemble des ATM du secteur du commerce maritime.
Répartition par tranche d'âge
Comme pour le secteur des pêches, la répartition par tranche d'âge est assez homogène. Aucune catégorie d'âge ne ressort, contrairement au commerce maritime en général où la catégorie des plus de 45 ans est très nettement la plus touchée par les accidents. La blessure aux yeux n'est donc pas réservée aux plus jeunes ou aux plus anciens. Cependant la catégorie “25 à 35 ans” est beaucoup plus touchée par les ATM aux yeux par rapport au secteur en général. Elle représente un quart des ATM aux yeux.
Répartition par position du navire
Dans la majorité des cas, les ATM surviennent lorsque le navire est à quai. Cette proportion élevée est comme pour le secteur du commerce maritime en général en lien avec la nature du travail sur beaucoup de navires de commerce ou de très nombreuses tâches se déroulent navire à quai (opérations commerciales, approvisionnement, maintenance, réparation…).
Les manœuvres sont moins accidentogènes pour les ATM aux yeux ( 7% vs 13%) contrairement à la position en route (26% vs 20%).
Répartition par type de navire
La grande majorité des ATM aux yeux concernent les navires à passagers (notamment et principalement les transbordeurs et ferries).
Il est nécessaire d’avoir une connaissance précise des effectifs pour une analyse plus fine pour pouvoir tirer plus d’enseignements.
Cependant, comme pour les ATM en général, le secteur du transport de passagers doit être considéré comme une priorité de prévention pour les ATM aux yeux de part leur nombre.
Répartition par élément matériel impliqué
Les ATM aux yeux font ressortir l’élément matériel “produit chimique, matériau, déchet” de façon très significative puisqu’il représente ¼ des accidents (26% vs 2% pour le secteur du commerce maritime en général).
Les “machines fixes et outils” sont également sur représentées pour les ATM aux yeux (13% vs 3%).
Analyse des circonstances des accidents aux yeux dans les cultures marines
Les ATM se produisent très majoritairement à terre (installation terrestre et quai, estran). Ils se produisent lors du travail des coquillages. Le genre d’accident est coupé, piqué par.
Ce sont principalement des corps étrangers (morceaux de coquilles lors de la manipulation, ou corps étranger lors d’opérations de maintenance) et des chocs.
Les graphiques ci-dessous détaillent les circonstances des ATM aux yeux aux cultures marines comparativement à l'ensemble des ATM du secteur des cultures marines.
Répartition par catégorie de personnel
La catégorie de personnel la plus représentée pour les ATM aux yeux est la catégorie “matelot, ouvrier” (pratiquement la moitié des accidents aux yeux).
On peut noter également que la catégorie “chef d’équipe, marin cadre” est nettement surreprésentée pour les ATM aux yeux par rapport au secteur des cultures marines en général (28% vs 10%).
Répartition par occupation du blessé au moment de l’accident
Les accidents aux yeux se produisent très majoritairement lors du “travail coquillages sur zone d’élevage” pour 20% vs 8%.
Ensuite viennent 4 activités qui génèrent la moitié des accidents aux yeux (12% chacune) :
le “chargement, déchargement”,
le “travail supports captage ou élevage”,
le “tri calibrage, dédoublage” et
l' “entretien matériel”.
A noter que le "tri, calibrage" est très nettement sur représenté par rapport aux cultures marines en général.
Cas des accidents graves aux yeux
Dans le cadre de l’étude sur les lésions oculaires, une mesure de la prévalence et une étude des circonstances des ATM graves aux yeux, c'est-à-dire des ATM ayant entraîné l'attribution d'un taux d'incapacité partielle permanente (taux d'IPP) par le service du contrôle médical de l'Enim (SCM-Enim) sur la période 2016-2020 (5 ans) a été effectuée.
Plusieurs enseignements ressortent de l'analyse des ATM ayant entraîné une lésion oculaire avec IPP :
les ATM graves aux yeux représente que 1 % environ de l'ensemble des ATM graves et des IPP accordées,
les lésions oculaires ayant donné lieu à l'attribution d'une IPP se concentrent :
sur la pêche : 73 % des attributions et 65 % des IPP accordées,
sur la classification « Lésion traumatique de l’œil et de l'orbite » : 91 % des attributions et 93 % des IPP accordées,
l'analyse qualitative, basée sur la codification des circonstances indiquées dans la déclaration des ATM, ne donne pas de résultats intéressants concernant l'occupation du blessé au moment de l'accident (la proportion de « non communiqué » étant trop élevée). Elle devient plus pertinente pour le genre d'accident et l'élément matériel impliqué. Ses conclusions restent néanmoins fragiles compte tenu du petit échantillon disponible :
le genre d'accident le plus notable est « frappé, fauché, coincé, écrasé par... » : 36 % des cas, 56 % des IPP accordées et taux moyen d'IPP le plus élevé (21,5),
les éléments matériels impliqués dans la survenue des ATM sont très dispersés entre six intitulés qui ne regroupent jamais plus de deux cas. Cependant, on observe que « chaîne, câble, élingue, aussière, cordage, croc... » paraît concentrer les IPP accordées (37 %). Il présente aussi le taux moyen d'IPP le plus élevé (28,5), très au-dessus de la moyenne de l'échantillon (13,9).
Préconisations de prévention
Les différentes analyses montrent que les lésions oculaires pour le secteur maritime pourraient être très nettement diminuées en mettant l’accent sur des mesures de prévention primaire.
Globalement et quel que soit le secteur, il est dans un premier temps nécessaire pour l’employeur/armateur de clairement identifier les postes de travail à risque dans le DUERP et d’y associer les moyens de prévention qui devront être prioritairement organisationnels, techniques, collectifs puis individuels.
Dans un second temps, après avoir choisi les équipements de protection individuelle les plus appropriés (adaptés au poste de travail, aux marins, et si nécessaire avec une correction incorporée), il faut sensibiliser les marins professionnels à porter des EPI des yeux pour se protéger efficacement et éviter ainsi l’accident du travail.
Pour le secteur du commerce maritime, cette sensibilisation devra notamment se faire lorsque les marins manipulent des produits chimiques ou lors de l'utilisation de machines fixes ou portatives, activités les plus accidentogènes.
À la pêche, la question du port des protections oculaires concernent plus particulièrement les marins-pêcheurs travaillant à bord des chalutiers lors de manipulation des produits chimiques mais aussi lors de la manipulation de l’engin de pêche (virage et ramendage) où ils risquent des chocs (avec le gréement) et des piqûres avec des torons de câbles.
Enfin, dans les cultures marines, la priorité doit être la mise en place de protection collective lors du travail des coquillages sur les installations terrestres (installation de dispositif de protection sur les machines et appareils à risque de projection) puis, en complément, la mise à disposition et le port de protection individuelle des yeux.
Que faire en cas d’accident ?
Toutes les lésions oculaires nécessitent des premiers soins. Certaines peuvent s’avérer banales mais d’autres devront faire l’objet d’une consultation rapide auprès d’un spécialiste. Selon le type de lésions, il convient d’adopter de bons gestes pour ne pas aggraver le problème :
les brûlures thermiques (projection de particules chaudes lors de la découpe mécanique par exemple) : laver l’œil à l’eau froide le plus tôt possible pendant plusieurs minutes,
les brûlures chimiques : laver l’œil à l’eau le plus tôt possible pendant quinze minutes pour éliminer totalement la substance chimique. Attention à ce que l’eau ne ruisselle pas sur l’autre œil,
les brûlures par radiation (coup d’arc ou flash du soudeur) : guérit spontanément dans les 24 à 48 heures. Le bandage des deux yeux soulage un peu la douleur,
les contusions : appliquer des compresses d’eau froide,
les corps étrangers : rincer l’œil abondamment avec du sérum physiologique ou de l’eau propre, jusqu’à ce que le corps étranger disparaisse. Si ce n’est pas possible, couvrir l’œil sans exercer de pression,
les particules incrustées dans l’œil : ne pas se frotter l’œil, ne pas utiliser une compresse ou une pince à épiler pour déloger un corps étranger. Appliquer un pansement lâche sur les deux yeux.
Quelque soit la situation, il faut téléconsulter immédiatement avec le CCMM de Toulouse et le cas échéant, prévoir un suivi médical auprès d’un médecin ou ophtalmologiste de retour à terre.
Pour avoir plus d'informations concernant les protecteurs oculaires, vous pouvez consulter le guide édité par l'INRS : Les équipements de protection individuelle des yeux et du visage - Choix et utilisation
Ressources associées
Fiches de prévention
Trois fiches de prévention sont disponibles au téléchargement par secteur d'activité maritime. Au format A4 recto-verso, ces fiches synthétisent le travail de l'IMP concernant l'analyse statistique des accidents du travail maritime aux yeux et les préconisations de prévention qui en découlent.
Affiche "À BORD, LES LUNETTES DE PROTECTION, ÇA SAUTE AUX YEUX"
Cette affiche (format A2, PDF) est destinée à sensibiliser les marins professionnels, quelque soit le secteur maritime, au port des lunettes de protection et plus largement aux EPI des yeux.
Si vous souhaitez recevoir une version papier de cette affiche, contactez l'IMP.